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Claire-Lise Petitjean
Après avoir fait des études de lettres et du théâtre dont une formation de clown, Claire-Lise Petitjean, née en 1973, a passé un CAP de tailleur de pierre pour enchaîner sur les Beaux-Arts d'abord à Tours puis à Dijon où elle vient d'obtenir son DNSEP avec félicitations du jury. Jean-Philippe Vienne, directeur de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Dijon, définit ainsi sa démarche : " comme Damien Cazé, son travail est enraciné dans la pratique de l'écriture et l'autorité du langage, et elle cultive une plume à la fois vive et précieuse. Ce goût du littéraire la pousse volontiers à s'intéresser aux artistes ou aux sujets romantiques, dont elle relit le sens dans le contexte de l'actualité artistique. C'est ainsi qu'elle fait par exemple naviguer l'héritage du sublime de la gravité à l'humour du ciel, qu'elle cultive l'absence comme un piège à capturer l'attente, qu'elle filme des phrases dont la lecture se cache derrière la matérialité des mots et des lettres, qu'elle filme encore un personnage dont la marche sur un sol difficile n'a pour objet réel que de parcourir le format de l'écran qui nous autorise à en être les témoins…
Claire-Lise Petitjean : "Ce qui m'intéresse dans cette histoire de faire de l'art, ce à quoi je veux donner forme, c'est la façon dont mon travail se déploie - sans jamais s'expliquer - autour d'une image : une énigme, une inconnue qui résiste aux mots […]"
Les photographies exposées, " Les fantômes " (2004), ont été réalisées lors d'un voyage Erasmus de trois mois à Cracovie (Pologne).
Elles proposent
toutes, en effet, une énigme : scène urbaine (Cracovie), nocturne, dans une
rue se déploie un espace rectangulaire - parfois deux qui forment alors un angle
- blancs, lumineux, créés par des néons. Adaptés à un espace préexistant (panneau
publicitaire ou angle de rue pour les deux panneaux), isolé de son environnement,
placé devant un magasin aux lumières vives et colorées qui tranchent avec son
austérité, voisinant avec des affiches publicitaires ou cohabitant avec la neige,
l'écran dont la luminosité n'est pas toujours homogène (zones plus ou moins
sombres/blancheur) affirme l'étrangeté de sa présence. Parenthèse dans l'univers
urbain surchargé d'images, mise en lumière de l'absence (aucun motif, aucun
message sur ces écrans lumineux), création d'une zone d'effacement de la réalité
au sein de la photo, référence au monochrome pictural, figuration du néant,
plus on tente d'interpréter l'énigme, plus elle s'enrichit.
Le titre bien sûr mais aussi le fait que C.L.P. ait visité le camp d'Auschwitz
avant de concevoir ces œuvres nous éclairent : ces espaces rectangulaires à
la blancheur inégale seraient des sortes de fantômes errants, empreintes immatérielles
de la douleur qui hante la ville …
Face à cette
œuvre, on songe au travail d'Hiroshi Sugimoto réalisé à partir des années 1970
dans de vastes et somptueuses salles de cinéma où il photographie des films
tout au long de leur projection. Par ce procédé, H.S. permet l'apparition d'un
écran blanc lumineux au sein de ces architectures grandioses. La surcharge des
informations visuelles présente sur l'écran de cinéma au moment de la photographie
entraîne en effet la création, sur la photo, d'une zone blanche. Ainsi que le
remarque H.S. avec humour, une trop grande quantité d'informations annule l'information.
Le néant s'invite donc au centre de ses photos. Son objectif est de créer des
images dont le degré de différenciation est infime : dans cette série, aucun
des écrans blancs n'est semblable, ils proposent tous une tonalité de blanc
unique.
Claire-Lise Petitjean revendique l'influence de cet artiste conceptuel et minimaliste
sur son travail. "Il y a une histoire aussi d'écriture, de sens à déchiffrer,
à dérouler, que ce soit dans la marche infinie de l'homme hiéroglyphique sur
la terre ou dans la neige vidéo, dans le parcours du crayon idiot ou dans les
points aveugles du ciel. Etant donné l'énigme du monde, la vie des images, la
puissance des mots, mon œil chas doublé de mon regard chameau je tente malgré
tout un orbe, une approche, un cerne plus ou moins lumineux (vidéo-installation,
photographies, dessins au graphite, écriture…) autour de ces mystères pour m'y
mesurer en attendant d'être élucidée." Cécile Desbaudard