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Luis Moragon
L'œuvre de Luis Moragón, né en 1958 à Elche (Espagne), est centrée sur la problématique de la perception et, plus particulièrement, sur la déstabilisation produite par une lisibilité détériorée de l'image. A travers différents médiums (photo, peinture, technique mixte, installation), il élabore des images qui réunissent à la fois un sujet et son " brouillage ".
Divers procédés, parfois réunis, lui permettent l'élaboration de ces images brouillées : il peut représenter un sujet en proie à une sorte de dilution (imprécision du motif parfois proche du pointillisme) ; photographier une scène à la lisibilité réduite (films pornographiques cryptés) ; recouvrir partiellement ses motifs par des éléments graphiques et/ou picturaux - trames, aplats colorés - qui vont alors voiler ou masquer une partie de l'image ; installer un écran plus ou moins opaque (polyester, papier calque…) devant l'image créée ; éditer ses photographies sur des matières qui " érodent " l'image (fibre de verre)En brouillant ces images, L.M. brouille les frontières entre figure/fond, image perçue/réalité, apparition/disparition, il nous amène à nous questionner sur la subjectivité de la perception (peut-on identifier toutes les formes qui nous sont proposées ? Quelle est la part d'interprétation personnelle dans l'identification ? A quel point notre perception d'une chose se rapproche-t-elle de la réalité de cette chose ?…) mais aussi sur ses mécanismes ( prendre connaissance d'une forme puis l'identifier d'abord globalement puis précisément en faisant appel à une classification des formes enregistrée dans notre mémoire).
Cinq œuvres sont ici exposées :
deux de la série " Sans titre " (2001): petits formats, technique mixte, polyester et bois
trois de la série " Hojas sueltas " (heures libres) (2000-2001), technique mixte et polyester.
Ces cinq œuvres sont composées d'une image créée par l'artiste (technique mixte) à laquelle se superpose un " écran " de polyester appliqué sur un cadre en bois pour les deux premières, simplement fixé aux quatre angles de l'image pour les trois dernières. Un motif figuratif apparaît sur chacune d'elles : des mains pour les petits formats et des ciseaux pour les grands. Dans la série " sans titre ", les mains ne sont pas entièrement représentées : elles apparaissent sous la forme d'empreintes d'où l'imprécision des contours mais aussi la présence de lacunes. La réunion du polyester et de ces empreintes de main évoque le phénomène de la condensation sur une vitre, lorsque la buée en envahissant la surface du verre transforme ce dernier en un véritable réceptacle d'empreintes, tout élément pressé contre la vitre laissant en effet sa trace. Quant aux œuvres de la série " Hojas sueltas ", deux d'entre elles illustrent des ciseaux et des feuilles de papier ligné (semblables à des partitions) réunissant ainsi l'outil et les effets d'un découpage (les ciseaux et la division d'une entité à travers le papier ligné). Dans la troisième œuvre de cette série, les ciseaux ont disparu, seules les feuilles de papier ligné demeurent.
Miguel Cereceda - dans le catalogue de l'exposition " Habitar " - propose trois interprétations à la présence des ciseaux dans l'œuvre de Luis Moragòn : l'interprétation sexuelle, les ciseaux selon leur position, fermés ou ouverts, évoquent tantôt une forme phallique, tantôt une structure vaginale ; l'interprétation musicale, la présence des partitions traduisant un hommage de la peinture à la musique et enfin, l'interprétation morale, les ciseaux se rapportant à la notion de suppression, d'extraction du champ de la perception de ce qu'un certain pouvoir considère comme gênant.
Cécile Desbaudard