"En 2003, d'importants travaux ont été réalisés dans mon atelier, en particulier grâce à une allocation de la Drac de Bourgogne. J'ai voulu marquer l'événement en prenant l'initiative d'inviter d'autres artistes à créer et/ou à montrer des travaux chez moi. Cela m'a permis de mettre en œuvre certains principes, ainsi qu'une relation singulière avec des œuvres, leurs auteurs et un public. J'ai souhaité envisager autre chose qu'une exposition pensée et maîtrisée, centrée sur un artiste, un concept, une forme, un lieu. Il a plutôt été question de mettre en place les éléments d'une situation, de la vivre, de s'inscrire dans une histoire faite de mises en je et de mises sur d'autres.
J'ai lancé ce processus en demandant à la photographe plasticienne Pascale Sequer de conduire le projet avec moi. Nos travaux et nos approches de l'art sont très éloignés. En revanche, ils ont en commun de ne pas procéder d'une recherche sur un concept ou un objet unique, nous ne travaillons pas " sur ".
Nos choix se sont organisés autour d'une pluralité de liens avec des artistes et d'autres acteurs de la scène artistique, par rapport à des aires géographiques ou sur les opportunités offertes par un lieu de monstration chargé d'histoires, loin de la page vierge du white cube. Nous avons aussi voulu une certaine diversité dans les supports.
Nous avons bien entendu tissé ou renforcé des liens avec d'autres artistes. Mais au-delà, nous avons eu une relation singulière avec des œuvres. L'engagement dans leur conception ou leur mise en place, puis dans leur mise en valeur nous a conduit à les appréhender avec une acuité particulière. Inversement, les artistes ont été poussé à nous amener au plus près de leur vérité. A cela s'est ajouté la possibilité de vivre pendant trois semaines en leur présence et de les fréquenter dans des conditions particulières, par exemple seul ou à certains moments privilégiés.
" Ceci n'est pas une exposition " s'est enfin voulu différent dans la relation avec le public. Nous l'avions envisagé plus large que celui qui s'intéresse habituellement à l'art contemporain. Pour répondre aux exigences des uns, susciter la curiosité des autres ou faciliter si besoin l'approche des travaux présentés, nous avons joué sur la convivialité, la disponibilité, l'ouverture, l'accompagnement. Nous avons ponctué le vernissage de performances, d'interventions musicales ou chorégraphiques, brèves et éclatées dans l'espace."
Bruno Girard
"Le titre ceci n'est pas une exposition peut surprendre. Le spectateur, curieux de voir à quoi peut bien ressembler une " non-exposition ", se trouve finalement face à ce qu'il attend généralement d'une exposition, à savoir la présentation d'œuvres.
Pourquoi alors ce titre ? Le lieu est certes peu conventionnel, puisqu'il s'agit de l'atelier d'un artiste et de l'espace privé d'habitation qui l'environne, et non d'un lieu institutionnel (musée, FRAC …) ou marchand (l'espace de la galerie).
Mais, ce n'est pas la première expérience de ce type. La marginalité du lieu ne peut rendre compte à elle seule de ce titre. L'art est sorti des musées depuis déjà longtemps. Si ce n'est le lieu qui justifie le titre, qu'est-ce alors ? Au-delà de ce qui apparaît comme une exposition " classique " où on peut découvrir les productions diverses d'artistes, cette " non-exposition " interroge le statut de l'exposition, même si ce n'est pas sa vocation première. La démarche habituelle de l'exposition, où un curateur pose un thème et fait ses choix artistiques est quelque peu bousculée.
D'abord parce que les " curateurs " sont ici avant tout artistes, l'un d'eux est même propriétaire du lieu. L'artiste prend ici le pouvoir sur le commissaire, il occupe la fonction habituellement prise par celui-ci. Ensuite, parce qu'ils l'ont voulu comme un processus dont ils ne maîtriseraient pas tous les aboutissants et dont l'évolution serait le fait de l'enchevêtrement spontané d'individus, et non la réalisation d'un projet initial clairement défini, dont un seul aurait la maîtrise. Ici donc, point de curateur à proprement dit, mais une tentative de mettre ensemble, dans un lieu de travail et d'expérimentation, plusieurs types de productions actuelles. Ceci n'est pas une exposition, en ceci que cela échappe au raisonnement du commissaire d'exposition.
La question qui est alors amenée à travers cette expérience, c'est celle de comment montrer un travail en dehors de la logique habituelle de l'exposition. Ceci n'est pas une exposition fait émerger l'état actuel de la recherche et du travail d'artistes par ailleurs engagés dans leurs propres " logiques ". Utilisant l'espace d'un atelier et de la maison qui le porte, il s'agit de montrer où chacun des artistes se trouve dans sa démarche personnelle.
Les différents supports actuellement travaillés par l'art sont convoqués, que cela soit la peinture, la photographie, l'installation, la sculpture, la vidéo ou la performance. Regrouper des artistes sur ce thème du constat de l'état d'une démarche, c'est, par delà l'idée de groupe, donner une vision d'un état des lieux. Mais, c'est aussi proposer au spectateur d'apporter sa logique du lieu.
Ceci n'est pas une exposition, cela veut dire aussi que ces artistes ne sont pas un groupe, mais des individus pris dans leurs propres lignes créatrices. Les artistes qui exposent ici ne sont liés par aucun manifeste. Ce qui est alors montré, c'est une diversité d'approches, de réalisations, devant néanmoins dégager une harmonie. C'est la proposition de l'illustration du principe fouriériste de l'harmonie dans la diversité. Ceci n'est pas une exposition, c'est la création d'une situation, où l'artistique prend une dimension politique."Barbara Puthomme